Bresson par Bresson: Mouchette
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La confrontation de la mort et de la vie
Questions et réponses empruntées à plusieurs interviews accordées en 1969 au sujet d’Une femme douce.
Question — Pourquoi avez-vous choisi Dostoïevski et Une femme douce ?
ROBERT BRESSON — Vous savez mon admiration sans limites et mon amour pour l’œuvre de Dostoïevski. Si j’ai choisi cette nouvelle (en russe Krotkaja, que les traducteurs ont appelée La Douce), pour tirer d’elle mon film Une femme douce — titre un peu ironique — , si j’ai choisi cette nouvelle, c’est précisément parce quelle n’est pas très bonne. Assez et même très emphatique, très grandiloquente par endroits, assez bâclée. J’ai pu m’en servir au lieu de la servir, sans nuire au génie de Dostoïevski, sans sacrilège. Je n’en ai pris que l’essentiel. Je l’ai dérussifiée et rendue actuelle. L’action se passe à Paris, de nos jours, entre un jeune mari et sa jeune femme, et une vieille gouvernante.
Question — Pourquoi avez-vous placé ce drame dans l’époque actuelle au lieu de lui garder le décor et les mœurs de cette seconde moitié du XIXe siècle où l’avait situé Dostoïevski? Ne craigniez-vous pas que ce déplacement dans le temps nuise à la vraisemblance des personnages?
R.B. — Je ne me vois pas faisant un film de neige, de troïkas, de coupoles byzantines, de pelisses de fourrure et de barbes… J’ai changé le caractère des personnages et le fond même du sujet. Chez Dostoïevski, le fond du sujet, c’est le sentiment de responsabilité, de culpabilité torturante du mari qui cherche à se justifier devant le corps de sa jeune femme suicidée. Chez moi, le fond du sujet, c’est le doute, l’incertitude de ce mari devant ce corps muet: “M’a-t-elle aimé? M’a-t-elle trompé? A-t-elle compris que je l’aimais?”, etc. C’est cette incommunicabilité, même s’ils ne s’en rendent pas bien compte, entre deux êtres qui vivent ensemble. Ce silence, cette nuit… Le mari pose des questions à sa femme morte, et il sait bien — et c’est ce qui est déchirant — quelle ne lui répondra jamais.
Question — Le fait de ne pas avoir recours à des acteurs professionnels a dû vous poser de graves problèmes pour Une femme douce, car les personnages sont extrêmement tendus. Devez-vous faire beaucoup de prises avec vos interprètes?
R.B. — Vous savez, il y a longtemps que je n’emploie plus d’acteurs professionnels et que cela ne me pose plus de problèmes. J’ai fait beaucoup moins de prises pour ce film que pour les précédents, à cause de la cherté de la couleur et des travaux de laboratoire qu’elle entraîne.
Question — Vous avez supprimé ou changé bien des choses de la nouvelle.
R.B. — J’ai supprimé ou plutôt j’ai raccourci l’écart entre les âges, qui n’explique pas le suicide, ou qui l’explique trop. C’est un mauvais prétexte. L’incommunicabilité existe sans écart d’âges. J’ai supprimé aussi le bureau de prêts sur gages qui n’existe d’ailleurs sûrement plus en Russie et qui n’existe pas, de toute façon, chez nous. J’ai cherché quelque chose d’approchant. Je l’ai remplacé par un de ces magasins d’achat d’objets de la rue de Rome. Je tenais à la présence des objets et à la présence de cet argent qui circule dans le magasin et qui provoque les premières disputes.
Un autre changement important: j’ai remplacé le soliloque du mari par un dialogue entre le mari et la gouvernante. Mais, surtout, ce n’est pas l’histoire somme toute assez banale des deux jeunes mariés qui m’a attiré, c’est la possibilité d’une confrontation constante, d’une juxtaposition continuelle de deux images: l’image de la jeune femme morte et l’image de la jeune femme vivante. Et l’écriture cinématographique qui en découle. Ce ne sont pas des retours en arrière, des flash-back, c’est tout autre chose. C’est la confrontation de la mort et de la vie. J’ai aussi rendu plus vivant le personnage féminin, la jeune femme, car il me semble que Dostoïevski s’attache plus à cet homme qui se torture pour savoir s’il est responsable, s’il est coupable de cette mort. Je crois avoir ajouté au livre une dimension
Une femme douce dans laquelle la femme s’exprime et qui est la sensualité. En ce qui la concerne, c’est une sensualité très innocente, très directe.
Question — Justement, l’épisode du peignoir quelle laisse glisser…
R.B. — Ce n’est pas purement gratuit. Une certaine forme de sensualité ne peut être évoquée sans la vision du nu, cependant il ne s’agit pas de la provocation classique qui consiste à montrer deux corps s’agitant sous un drap. Dans les spectacles, l’habitude en est maintenant prise, mais si le nu n’est pas beau, il est obscène.
Question — Dans le dîner, il y a une différenciation entre les deux personnages par le bruit de leurs cuillères à soupe.
R.B. — C’est simplement une manière de montrer que c’est horrible de boire sa soupe, face à face, avec seulement le bruit des cuillères dans l’assiette et le bruit de leurs déglutitions. En ces moments-là, tous les bruits sont insupportables.
Question — Vous avez inséré dans votre film une assez longue scène de Hamlet jouée dans un théâtre par des acteurs.
R.B. — Il est curieux de voir que cette mauvaise habitude de crier, de hurler existait déjà du temps de Shakespeare. Mais nos grands comédiens ne crient pas. Raimu ne criait pas. Gérard Philipe jouait Lorenzaccio à voix très basse et pouvait néanmoins émouvoir jusqu’aux dernières rangées de l’amphithéâtre.
Question — Croyez-vous que l’amour est destiné à détruire ou se détruire?
R.B. — Je n’ai pas cette idée pessimiste. Je crois en l’amour. Je peux même dire que je ne crois qu’en l’amour. En l’amour non seulement envers les personnes, mais aussi envers les choses. L’amour porte à comprendre: on se comprend à travers l’amour. Mais je pense que l’amour mal compris, mal engagé existe.
Question — Les raisons de son suicide ne sont pas claires.
R.B. — Il est toujours difficile de comprendre les vrais motifs d’un suicide.
Question — Quel rôle donnez-vous aux bruits?
R.B. — À la fin du film, le moment où la femme va se tuer, les silences et les bruits sont beaucoup plus dramatiques que la musique, quelle quelle soit, aussi bonne soit-elle. Mais le silence, il faut l’amener, il faut le faire apparaître, en utilisant les bruits.
Question — Pourquoi l’ami de la femme qui est dans la voiture n’apparaît-il jamais?
R.B. — Cela n’avait pas d’intérêt. Ce qui était intéressant était le fait, non l’homme. Cela aurait pu être un autre homme, cela aurait pu être d’autres hommes, cela n’avait pas d’importance. Là, on voit un autre principe de base: donner à chaque personnage sa place. Si un personnage a la première place, lui donner la première place. Si les personnages ont un rôle secondaire, il ne faut pas trop les montrer. C’est très mauvais quand, dans un film, tous les personnages ont tous la première place.
Question — Mais ici, il importe beaucoup qu’il y ait une ellipse de ce personnage, que nous aurions tous voulu connaître. De même que l’ellipse du passé de la femme, que nous aurions tous voulu connaître, a une énorme valeur positive: il dit beaucoup.
R.B. — Il y a ici un autre principe de base, principe que très peu, sauf les grands comme Chaplin, connaissent: c’est l’économie. Faire une grande chose avec rien, c’est ça le truc. Alors qu’il est de coutume de faire tout le contraire: on montre absolument tout, quoi que ce soit, tout est bon. Résultat: il n’y a pas d’émotion, parce qu’il n’y a pas d’économie. Économie de tout. Des gestes, par exemple. De cette façon, les gestes, quand ils sont faits, disent beaucoup.
Question — Dostoïevski qualifiait son récit de fantastique bien qu’il l’ait estimé par-dessus tout réel…
R.B. — C’est juste. Bien des gens s’imaginent que le fantastique s’obtient avec des personnages hors du commun et des situations exceptionnelles. Le fantastique est autour de nous, c’est ce visage en gros plan, il n’y a rien de plus fantastique que le réel. Pour Dostoïevski, le fantastique venait de la notation instantanée du monologue du mari qui évoquait le passé. C’est pour la même raison que je ne considère pas comme un procédé d’avoir mêlé présent et évocation du passé. Pour moi, ce ne sont pas des flash-back. Il n’y a pas de rupture de ton, tout se passe dans un même
temps.
Question — Dans vos films, il est rare qu’une scène ne soit pas encadrée par l’ouverture ou la fermeture d’une porte. Quelle est la signification de ce cloisonnement de l’espace?
R.B. — Les portes ont d’abord une signification humaine: on claque une porte, on parle à huis clos, une discussion change de nature selon quelle se passe porte ouverte ou fermée, ou même à demi. En plus, une porte marque des intentions de départ, de sortie, de changement, parce qu’il faut faire un mouvement pour l’ouvrir ou la fermer. Les portes pour moi ont surtout une signification musicale: d’abord par leur bruit, auquel j’attache beaucoup d’importance, mais surtout par le rythme quelles imposent. Ce rythme, c’est le rythme propre du film dans lequel elles se comportent comme séparations de mouvements ou barres de mesure.
Question — Quelle importance attachez-vous à la musique?
R.B. — Je crains d’en avoir abusé dans certains films. Et, parce que le cas s’est produit, je préfère que des aveugles assistent à mes films plutôt que des sourds. Si vous voulez, je sens les bruits plus essentiels à la création d’un univers que la vue des choses. Je me sens plus musicien que peintre.
Je suis ici, l’autre est ailleurs et le silence est terrible
«Conversazione con Bresson», Filmcritica, octobre 1969
Alain Joël NAHUM — Pendant une quarantaine d’années, de nombreux réalisateurs ont établi une théorie cinématographique personnelle et l’ont appliquée à leurs œuvres. Aujourd’hui, vous êtes un des rares à en avoir une. Estimez-vous que cela soit indispensable? Ne croyez-vous pas à la possibilité d’un cinéma plus spontané?
Robert Bresson — Si vous qualifiez de spontanés la mimique, les intonations, les gestes pensés des acteurs professionnels, il ne va pas être facile de me faire comprendre. Le mot spontané n’a pas le même sens pour vous et pour moi. Laissez-moi vous dire seulement, malgré tout ce que vous pouvez croire, que c’est précisément et avant tout la spontanéité que je cherche à obtenir, par des moyens mécaniques, chez ceux que j’appelle mes modèles. Quant à ma théorie, qui est plutôt une méthode, comment m’en passer? Je comprends très bien qu’on ne dise pas comment on a fait un roman, une sonate, un tableau, un film; je comprends moins bien qu’on ne se le demande pas à soi-même. Je ne conçois pas qu’on puisse travailler (à n’importe quoi) sans méthode. Le plus humble ouvrier a besoin d’une méthode. L’absence de méthode amène le chaos ou, si vous voulez, la médiocrité.
A.J.N. — Avec votre neuvième film, Une femme douce, vous semblez atteindre un point de rupture. La couleur, en un certain sens, ne vient-elle pas contredire votre conception de la spécificité cinématographique?
R.B. — Le seul changement qu’apporte la couleur (s’il y a changement), c’est une plus grande puissance d’expression ou de conviction de l’image. On peut frapper fort avec la couleur. Mais si la couleur n’est pas juste, alors on tombe dans l’horrible réalité du faux, et on ne frappe pas fort du tout.
A.J.N. — Une femme douce semble un prolongement logique de Mouchette. Mouchette se terminait par la fin de l’adolescence et le suicide. Une femme douce s’ouvre sur le suicide d’une femme. Cet acte négatif a-t-il une signification politique en rapport avec notre société et en rapport avec votre œuvre comme problème fondamental de l’incommunicabilité et de l’impossibilité de vivre? Ou reste- t-il simplement un fait anecdotique?
R.B. — Je serais désolé si je savais qu’un de mes films est le prolongement d’un autre. Au contraire, pour chaque film, je suis content de repartir de zéro, de ne rien recommencer ou continuer. Le suicide sur lequel s’ouvre Une femme douce est la conséquence logique de cette nuit, de ce silence dont parle Claudel dans le poème que vous connaissez sûrement, qui commence par: «Je suis ici, l’autre est ailleurs et le silence est terrible.» Il y a aussi cet autre vers: «Rien que la nuit, qui est commune et incommunicable»[1]. Il n’est pas exagéré de dire que notre impossibilité de communiquer vraiment est à la base de quantité de drames dans le monde et dans toutes les sociétés.
A.J.N. — Dans le film, il est question, et c’est la première fois, des rapports d’un couple déterminés par l’argent. Le couple semble, dès le début, être voué à l’échec. On ne voit aucune progression durant la durée du film qui reste toujours identique à lui-même. L’échec final n’est que l’accentuation de l’échec initial: leur destin est irréversible! L’impossibilité de communiquer qui, au début, était une abstraction, se concrétise au niveau individuel dans l’impossibilité d’aimer. Que signifie cet échec, par rapport à vous et par rapport au cinéma?
R.B. — Je ne vais pas faire la philosophie du mariage. Autour de moi, je vois plus de bons mariages que de mauvais. Mais sait-on jamais? Dans le journal, nous voyons des mariages malheureux pousser au suicide ou au meurtre. Goethe disait simplement que le mariage a quelque chose de maladroit.
A.J.N. — Se référant à votre autre activité, la peinture, l’introduction de la couleur dans votre film supplée-t-elle à votre besoin de peindre? Et réciproquement, cette œuvre en couleurs qu’est votre film influence-t-elle votre peinture?
R.B. — Je ne peins plus du tout et je fuis la peinture dans mes films. J’ai l’horreur du cartepostalisme.
A.J.N. — Un film en couleurs pourra-t-il être, en quelque sorte, un nouveau moyen d’expression qui rendra finalement inutiles le monde coloré de la peinture et les films en noir et blanc?
R.B. — Un film en couleurs ne peut être l’aboutissement de la peinture puisqu’il n’est qu’une reproduction mécanique. S’il fait plaisir à l’œil, c’est une autre sorte de plaisir, sans analogie avec le plaisir que peut donner une toile de peintre. Un film noir et blanc peut être plus proche de la peinture, parce que, par exemple, le vert d’un arbre qu’il suggère est plus proche du vrai vert de cet arbre que le faux vert photographique dans un film en couleurs.
A.J.N. — Entre Les Dames du bois de Boulogne et Journal d’un curé de campagne, il s’est passé cinq ans. La distance qui les sépare a permis une profonde maturation de votre œuvre. Entre Mouchette et Une femme douce, il ne s’est passé qu’un an. Cela signifie-t-il un changement d’attitude? Et pourquoi ce changement?
R.B. — Si je ne tournais pas plus souvent jadis, c’est que je manquais d’argent. Je ne trouvais pas de producteurs. On n’avait pas confiance en moi. J’aimerais pouvoir tourner sans interruption, film après film. Mais il est certain que, quand on conçoit un film de A à Z, on a besoin de beaucoup de temps pour l’écrire (sur papier), le mûrir, en préparer le tournage. Les adaptations de romans, de nouvelles que j’ai faites me permettaient une cadence de tournage plus rapide.
A.J.N. — Dans Une femme douce, la manière de diriger les acteurs contribue aussi à cette impression de changement. Les personnages semblent se rapprocher plus des acteurs professionnels, leur physionomie et leur diction montrent une rupture moins forte que dans vos films précédents. Votre manière de diriger les acteurs a peut-être subi quelque changement? Autrement, comment cela s’explique-t-il?
R.B. — Ce que vous me dites est le contraire de ce que m’ont dit mes amis et de ce que j’ai lu dans les journaux. Il paraît que je n’ai jamais poussé aussi loin l’inexpressivité apparente de mes personnages. De toute façon, je n’ai pas changé à cet égard.
A.J.N. — À la sortie de Mouchette, une grande partie de la critique en France qui vous était généralement favorable n’a pas aimé ce film et, au contraire, d’autres, qui n’appréciaient pas vos films, l’ont cette fois apprécié. Le même phénomène se vérifie en ce qui concerne Une femme douce. Pouvez-vous expliquer pourquoi?
R.B. — J’ignore les raisons profondes pour lesquelles le public ou la critique aime ou n’aime pas ce que je fais. Dans l’un ou l’autre cas, que l’on aime ou que l’on n’aime pas, il y a souvent un malentendu. Je ne suis pas mécontent de «surprendre», en bien ou en mal. Tout cela manque de recul.
A.J.N. — Dans Une femme douce, vous avez choisi deux héros romantiques — Benjamin et Hamlet — qui appartiennent à un monde dans lequel voudrait vivre votre personnage féminin, alors que la réalité la ramène près de son mari.
R.B. — Pour Benjamin, il s’agissait de projeter, dans la salle de cinéma d’Une femme douce, un film, n’importe lequel. Parc-Film et Paramount, avec qui je travaillais, étaient aussi producteur et distributeur de Benjamin. Cela facilitait les choses. Le libertinage de Benjamin n’allait pas à l’encontre de la sensualité d’Une femme douce. J’ai choisi Hamlet pour trois raisons: 1) Avec cette quadruple mort du dernier acte, je maintenais mon film dans une atmosphère de mort, mort d’un autre style, style théâtral, confrontée avec la vraie mort de la suicidée — et confrontée aussi avec la vie de la suicidée (baignoire, savon de toilette); 2) J’étais content de pouvoir dire aux comédiens d’aujourd’hui, par la voix de Shakespeare, qu’il ne faut pas crier, vociférer sur les planches, comme ils le font tous, ou presque; 3) Il me fallait, au retour du théâtre, trouver quelque chose qui donne prétexte au mari de dire que sa jeune femme “faisait comme si de rien n’était”. La lecture quelle fait du “Conseil aux comédiens”, sitôt entrée dans la chambre, justifiait bien cette réflexion chez le mari.
A.J.N. — Dans quelle intention avez-vous utilisé des échappatoires de second ordre comme la télévision, les disques et le musée d’Histoire naturelle?
R.B. — Je n’ai rien fait là d’extraordinaire. La télévision est dans toutes les maisons. Elle m’a servi à faire entrer le mouvement de la vie du dehors dans l’appartement. Le musée d’Histoire naturelle comme celui d’Art moderne est un but de promenade pour le jeune couple. Le musée d’Histoire naturelle les ramène vers la mort et est la continuation du livre d’histoire naturelle que la jeune femme feuillette à la maison. De même le musée d’Art moderne est la continuation du livre d’art quelle feuillette aussi chez elle.
A.J.N. — Dans Pickpocket, votre point de vue était introspectif, à présent, il est descriptif. Que signifie ce changement pour vous et pour votre œuvre?
R.B. — Je n’ai jamais eu aussi peu l’impression de décrire, d’expliquer que dans ce film, mais, au contraire, de laisser vraiment parler les images, de donner aux bruits leur vraie nature de musique, de faire un film du doute, de l’incertitude.
A.J.N. — Avez-vous des projets? Et lesquels, maintenant que vous tournez avec une plus grande fréquence?
R.B. — J’ai engagé des pourparlers, déjà très avancés pour deux films, avec un budget plus important que pour mes films précédents. Et j’ai commencé à travailler à un troisième film (sur papier).
Note
[1] Je suis ici, l’autre est ailleurs et le silence est terrible.
Nous sommes des malheureux et Satan nous vanne dans son crible.
Je souffre et l’autre souffre, et il n’y a point de chemin
Entre elle et moi, de l’autre à moi point de paroles ni de main.
Rien que la nuit qui est commune et incommunicable,ì
nuit où l’on ne fait point d’œuvre et l’affreux amour impraticable.
Paul Claudel, « Ténèbres », Corona Benignitatis Anni Dei, éditions de la NRF, 1915.
Tiré de: Bresson par Bresson. Entretiens 1943–1983, rassemblés par Mylène Bresson, Flammarion, 2013, pp. 245–257