Bresson par Bresson: Journal d’un curé de campagne

Mario Mancini
13 min readMay 2, 2021

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La scène finale du “Journal d’un curé de campagne”.

Entre des deux mondes

“Robert Bresson nous confie ses projets”, Le Figaro, 11 octobre 1949

Roger CANTAGREL — Ne devez-vous pas faire un film, l’été prochain, pour une compagnie américaine?

Robert BRESSON — Oui, et je devrais aussi à la même époque faire un autre film en Italie. Je les ai écrits tous deux au cours de ces dernières années (Lancelot du Lac et Saint Ignace de Loyola). J’ai hâte de passer à l’exécution.

R. C. — Est-il exact que vous travailliez actuellement à l’adaptation du Journal d’un curé de campagne?

R. B. — C’est exact. J’ai accepté la proposition qui m’avait été faite, il y a environ trois mois, de tirer un film de ce roman. Après pas mal d’hésitations et sans vaincre tout à fait certains scrupules.

R. C. — N’est-ce pas là une sorte de gageure?

R. B. — Peut-être, mais la gageure m’attire. L’intérêt du roman de Bernanos ne réside pas seulement dans une suite de faits ou d’observations. L’auteur y a incorporé, en abondance, toutes sortes de pensées qui lui sont propres. On ne peut guère dissocier celles-ci des faits sans qu’il s’ensuive une déformation. Il y a là un tout. C’est ce tout que je m’applique à restituer intact.

R. C. — Si vous prenez l’ouvrage «en bloc», parmi les thèmes qu’il propose, en est-il un auquel vous portiez une attention particulière?

R. B. — Non, puisque j’entends respecter les proportions du livre, mais le thème de base me paraît offert par la condition tragique des curés de village. Ils sont à deux services: ici, contemplation; là, apostolat et action de charité. Ils ne cessent d’osciller entre ces deux mondes que les peintres du XVIe siècle ont figurés par deux étages. Les larmes du saint curé d’Ambricourt sont dues autant à un excès de pitié envers l’espèce humaine qu’à la nostalgie d’un monde révélé qui, continuellement, lui échappe.

R. C. — Quand pensez-vous commencer de tourner?

R. B. — En décembre ou janvier.

R. C. — Le film comportera-t-il des extérieurs?

R. B. — Il semble que Bernanos soit peu visuel: on ne trouve guère de descriptions dans son œuvre. Vous savez la petite place que je fais aux paysages dans mes films. C’est peut-être pour cela qu’il faut leur attacher beaucoup de soin. J’irai en Artois chercher ceux que le livre m’aura fait imaginer.

R. C. — L’interprétation?

R. B. — Je ne m’en occuperai pas avant d’avoir achevé l’adaptation. Il faut se faire des personnages une image précise, rigoureuse, avant de les chercher dans la vie.

R. C. — Avez-vous le sentiment que le cinéma peut dépasser le roman?

R. B. — Le cinéma a des moyens en plus, qui facilement deviennent des moyens en trop. En réalité, il s’agit de tout autre chose. Le roman raconte, décrit. Le cinéma ne décrit pas les champs, la ville, un intérieur. On y est.

C’est cette gageure qui m’a attiré

«Des idées et des hommes», RTF, 9 juin 1950

Robert Bresson, le metteur en scène bien connu, s’est attaqué à un sujet très difficile: porter à l’écran le Journal d’un curé de campagne de Georges Bernanos, que certains admirateurs du grand romancier visionnaire considèrent comme son chef-d’œuvre. Porter un grand livre à l’écran est toujours périlleux, car toute œuvre est consubstantielle au langage de son auteur. En art, contenu et contenant, forme et fond ne se distinguent que par un jeu artificiel de l’esprit, de sorte que la transposition d’un roman par un metteur en scène de cinéma est une véritable création. Pierre Desgraupes est allé rejoindre Robert Bresson sur le lieu même où ce dernier tourne le Journal d’un curé de campagne, dans les décors réels qui ne sont autres que ce coin de Picardie où Bernanos avait situé l’action de son roman.

Pierre DESGRAUPES — Eh bien, je crois qu’il faut d’abord fixer un point, disons d’histoire: lorsqu’on verra votre film, peut-être aura-t-on l’impression qu’il y avait, au départ, entre l’univers de Bernanos et le vôtre une certaine affinité. Est-ce exact?

Robert BRESSON — Je ne crois pas que ce soit exact, mais en tout cas, ça fait partie de cette gageure qui m’a attiré quand j’ai finalement accepté de faire ce film.

P. D. — Je crois que cette gageure selon vous, c’est que ce roman était un roman très intérieur, et que la conception que vous vous faites du cinéma va précisément dans le même sens, d’une façon d’ailleurs assez paradoxale, a priori.

R. B. — Oui, ce qui m’a attiré dans ce livre, c’est avant tout que faction, le fil dramatique étaient intérieurs, et il se trouve que c’est exactement la voie dans laquelle je vais dans le cinéma. Et je pense en effet que l’action dans un film doit être et sera de plus en plus intérieure. Et que ce qu’on a pris jusqu’ici pour du mouvement, ce mouvement qu’on cherchait dans tous les films, n’est en somme que de l’agitation.

P. D. — Vous pensez que dans le cinéma, le mouvement peut être également un mouvement intérieur, comme dans le roman?

R. B. — J’en suis absolument persuadé. Et je crois que tout le mouvement, à ce moment-là, consiste dans ce qui se passe sous les visages, sous la peau du visage et dans certains regards ou dans certaines attitudes, ou dans certains gestes.

P. D. — Alors ici se pose un problème un peu plus précis: le cinéaste ne dispose comme matériel d’expression que de choses visibles. Or, le problème, selon vous, c’est, avec ces choses visibles, de rendre présentes au spectateur des choses qui sont invisibles. Comment y parvenez-vous?

R. B. — Je pense que beaucoup de choses sont visibles, pour qui sait regarder de l’extérieur, sur un visage ou dans une attitude. Mais nous avons d’autres moyens d’exprimer cela, puisque nous avons la parole et aussi cette voix intérieure qu’on retrouve maintenant dans beaucoup de films.

P. D. — Je crois que vous citez, au sujet de ce que peut rendre la caméra, une anecdote de Chaplin qui est assez amusante. J’aimerais vous l’entendre répéter.

R. B. — Oui, Chaplin disait que la caméra prend tout et il racontait cette histoire. Il disait qu’une excellente comédienne, il disait une Garbo, une comédienne de cinéma — , était en train de tourner à la perfection une scène et il faisait chaud et il y avait des mouches dans le studio. Et en tournant à la perfection cette scène, elle a pensé tout à coup: «Tiens, si cette mouche venait se poser sur mon nez?» Et la caméra a enregistré cela.

P. D. — Par conséquent, la caméra enregistre les pensées des gens, selon vous. J’aimerais vous poser une autre question. Vous tournez dans des décors qui sont des décors réels. Il est assez exceptionnel même qu’un film soit tourné, intérieurs compris, sur des lieux réels, je veux dire non pas dans un studio. Cela pourrait donner, à tort j’imagine, l’impression que ce que vous recherchez, c’est le réalisme, c’est-à-dire une chose qui se fait beaucoup en ce moment dans le cinéma, et dans une certaine mesure d’ailleurs, on peut s’en féliciter. Or, je crois que le but que vous poursuivez, vous, est tout autre. Vous faites des films qu’on pourrait appeler, disons, irréalistes, à défaut d’autres mots.

R. B. — Je crois et je suis persuadé même que l’irréel ne peut être fait qu’en s’appuyant sur la réalité. On ne conçoit pas, par exemple, une féerie se passant sur un décor neutre. Il faut, au contraire, appuyer les choses irréelles sur une réalité très forte. Quant à ces décors naturels, je pense qu’il ne s’agit pas seulement de tourner dans des décors naturels, il s’agit de s’en servir, de les interpréter d’une certaine façon et de les plier à ce qu’on veut qu’ils soient.

P. D. — Dans le cas précis du roman de Bernanos, est-ce que vous avez dû opérer des transcriptions complètes du roman? Il arrive assez souvent, par exemple, que certains détails qui passent dans un roman parce qu’ils font partie du langage romanesque doivent être remplacés dans le langage cinématographique par d’autres événements complètement différents. Est-ce qu’il y a eu beaucoup de cas semblables dans votre adaptation?

R. B. — Non. Je crois que tout ce que j’ai pris, je l’ai pris à Bernanos. Il s’agissait d’une forêt très touffue. Je me suis contenté d’élaguer par endroits et surtout de, non pas simplifier, ce qui serait une chose horrible, mais d’essayer de trouver la substance de ce roman.

P. D. — Est-ce que vous pensez faire appel à une partition musicale pour souligner votre film?

R. B. — Je n’ai rien encore décidé à ce sujet. J’ai essayé de comprendre quelle devait être la musique de ce film. J’avoue que je ne suis arrivé à rien encore et il est possible que le film se prive de musique, entièrement.

P. D. — Selon vous, une musique n’est pas indispensable à un film?

R. B. — Très souvent la musique d’un film n’est là que pour préparer le public à recevoir ce film, à le sentir mieux et le mettre dans une sorte de climat qui lui permette de mieux le recevoir, mais je pense que c’est une erreur et qu’il faudrait trouver quelque chose d’autre.

Voir et écouter

Opéra, 14 février 1951

Lorsqu’on sait le silence que Robert Bresson tient à garder sur lui-même, l’horreur physique que lui inspire toute publicité, toute indiscrétion, l’on est en droit de ressentir quelque appréhension pour oser seulement dire l’amitié qu’en secret l’on éprouve pour ce rêveur éveillé et l’admiration sincère en nous suscitée par son œuvre.

Si nous ne pouvons résister au désir de parler de lui, c’est que nous croyons utile, à une époque où le public est trop souvent abusé, trompé par une publicité factice, d’attirer son attention sur une œuvre valable. Peu de films en effet méritent autant le titre d’œuvre que Journal d’un curé de campagne, dernier film de Robert Bresson, qui rompt ainsi le silence de plusieurs années. Il n’est pas vain de prétendre que Bresson révèle au cinéma le monde secret des âmes auquel le public n’est pas habitué.

Pareil dessein de la part de son auteur situe rapidement le plan sur lequel il faut se mettre si l’on veut parler de lui utilement.

Que nous importent tous les détails vrais ou faux dont sont emplies les interviews habituelles de vedettes quotidiennement élues mais aussi vite oubliées. Qu’il porte des costumes gris, cela relève de son tailleur. Qu’il habite l’île Saint-Louis n’intéresse que son facteur et ses amis. Mais qu’il soit peintre, qu’il ait abandonné momentanément la peinture pour se tourner vers le cinéma, cela nous intéresse déjà plus. Bresson a toujours eu la passion des visages humains qui sont, ainsi que le dit le langage populaire, reflet des âmes. Ses films nous ont habitués à d’extraordinaires portraits, jamais gratuits mais toujours moments dramatiques pendant lesquels la caméra tourne, enserre et finit par cerner une expression, un regard. On croirait presque que Bresson cherche alors à cueillir le mot qui va naître ou étreindre pleinement le silence, l’isolement de ses personnages. Bresson répète souvent: «Le silence est la grande découverte du cinéma sonore.»

Tous ceux qui l’ont approché ont d’ailleurs été intimidés par cette réserve discrète qu’il semble garder et derrière laquelle il s’abrite, peut-être pour mieux observer les réactions de son interlocuteur.

Comment s’étonner, après cela, qu’il se soit passionné pour des sujets tels que Les Anges du péché ou Les Dames du bois de Boulogne? Je lui demande ce qui le séduit dans le personnage d’Ignace de Loyola :

«Le scénario que j’ai écrit sur saint Ignace était une commande. Journal d’un curé de campagne aussi. Si j’ai accepté, pour l’un comme pour l’autre, les offres des producteurs, c’est que cela était dans ma voie. C’est par l’intérieur que j’avais pris Ignace de Loyola et je n’avais retenu également de lui (autant que possible) que le “spirituel”.»

Nous voilà évidemment assez loin du cinéma tel qu’il est pensé (ou plus exactement tel qu’il ne l’est pas) généralement. Plus que n’importe quel autre metteur en scène, Bresson inaugure une nouvelle étape cinématographique que l’on pouvait espérer en voyant des films comme La Ruée vers l’or ou Le Voleur de bicyclette. Il applique au cinéma le grand principe du théâtre classique. Il s’attache à faire connaître les caractères, à montrer le jeu des passions. Il rejoint, par là, la tradition des grands analystes représentés en littérature par des tempéraments aussi divers que ceux de Mme de Lafayette, Racine, Benjamin Constant, Marcel Proust, Valery Larbaud. Il réalise enfin un cinéma tel que pouvaient le rêver les admirateurs de ces auteurs.

«J’ai mis plusieurs semaines à décider si j’adapterais ou non le livre de Bernanos. J’avais infiniment de scrupules… de toutes sortes, devant le livre. Parmi ces scrupules, celui de trahir le roman. Ma fidélité à moi-même m’a semblé, tout à coup, garante de ma fidélité à Bernanos. J’ai fait un moule, mon moule. Et j’ai mis dedans tout ce qui voulait bien y entrer de la substance du livre, y compris ces pensées et expériences conscientes et inconscientes propres à l’auteur, plus importantes que les faits… J’ai rencontré aussi de la difficulté à vouloir respecter, par endroits, la construction du livre lorsqu’elle me semblait avoir la valeur d’une idée.»

On comprend pourquoi Bresson insiste sur la parenté intérieure qu’il recherchait entre ces personnages et ses acteurs, pourquoi il soumit Claude Laydu à un entraînement spécial, pourquoi il exigeait de ses acteurs une dépersonnalisation complète afin de les faire mieux entrer dans leurs rôles par le dedans, pourquoi, enfin, sur un plan artistique, il était le seul à voir exactement ce que serait son œuvre.

À quelques personnes qui lui demandaient s’il ne craignait pas qu’une partie du public ne parvienne pas à le suivre, il répondit:

«Je cote très haut le public. Il est toujours prêt à sentir avant de comprendre. C’est bien comme cela que ça doit être. Le cinéma est magique et, de ce fait, nul ne peut préjuger du jugement des foules. À propos de mon film, ne cherchez surtout pas à lui expliquer quelque chose, demandez-lui simplement de retrouver son âme d’enfant, de voir et d’écouter.»

Comme j’écrirais un poème

Hommage à Bernanos (extrait), Centre catholique des intellectuels français, Paris, Université de la Sorbonne, 12 mars 1951

Robert BARRAT — Lors d’une réunion préparatoire à ce débat, je me souviens que vous disiez comment vous essayiez de faire un film: «Je fais un film comme j’écrirais un poème. Je cherche le ton.» Et vous expliquiez que c’est ce ton que vous aviez dans la tête quand vous tourniez les séquences, qui faisait dire aux opérateurs, aux techniciens qui assistaient à ces prises de vues: «Ça va être embêtant.» Et que ce n’est qu’en voyant le film tout monté qu’ils avaient découvert l’unité intérieure et poétique du film.

Robert Bresson — Je voudrais profiter tout de suite de la parole qui m’est donnée pour me laver publiquement d’un reproche qui m’a été fait. On m’a reproché un certain dédain, un certain mépris que j’aurais des comédiens professionnels. Or, j’apprécie hautement, au contraire, et sans réserve, l’étonnant, l’admirable métier qu’ils pratiquent et qui demande tant de richesses inconciliables, tant de capacités à la fois d’esprit et de soumission de l’esprit, de sincérité et de tromperie, d’abandon et de contrôle de soi que, je l’avoue, bien souvent il me paraît presque inconcevable.

Mais si je demande, si j’emploie des acteurs anonymes, des acteurs amateurs ou novices, de même si je fuis le sujet et l’anecdote dramatique, qui a son intérêt en soi, si je réduis le décor ou le paysage à un cadre qui diminue et disparaît de lui-même dès que le visage humain vient y prendre place, c’est que ce que je veux représenter, ce ne sont pas des actions, ce ne sont pas des événements, ce sont des sentiments.

Introduit dans le domaine des sentiments, l’acteur professionnel, si je braque sur lui l’objectif, ressent une étrange gêne: il éprouve que les habitudes qu’il a prises au théâtre ou dans ces films où les faits, les événements tiennent la première place, que ses trucs, ses tics, ses manies, que son talent en un mot l’empêche et le retient de me donner ce que je demande. Et moi, j’éprouve bizarrement que tout cela, en effet, s’interpose et me le cache exactement comme ferait un masque.

Je voudrais bien pouvoir vous expliquer comment cet appareil de prises de vues, cette extraordinaire caméra, qui est notre premier instrument de travail, est en même temps notre premier et plus redoutable ennemi, en ce sens que cette caméra enregistre tout, prend tout, avec cette espèce d’indifférence, de stupidité de la mécanique, de la machine.

Charlie Chaplin, passant par Paris il y a pas mal d’années, avant la guerre, m’a raconté cette histoire. Il me disait: «Imaginez notre plus grande comédienne de l’écran, imaginez Greta Garbo — c’est Chaplin qui parle, ce n’est pas moi — imaginez quelle joue sa scène à la perfection, mais il fait chaud, il y a des mouches qui volent dans le studio et qui volent autour d’elle… et tout en continuant de jouer sa scène à la perfection, elle pense: “Tiens, si cette mouche venait se poser sur mon nez !” Et la caméra enregistre ça.»

Le mot «prise», le mot «prise de vues» est synonyme de capture. Il s’agit d’attraper l’acteur, non pas l’acteur-acteur, mais l’acteur-créature vivante, de le surprendre, de capter sur lui, sur tel trait de sa physionomie ce qu’il peut produire en propre de plus rare, de plus précieux et aussi de plus secret, l’étincelle qui me fournira la clef du problème. L’acteur amateur ou novice, moins conscient de soi, plus naïf, plus droit et aussi plus patient, se prêtera avec beaucoup plus de complaisance à cette épreuve. On voit que cette conception de l’acteur de cinéma, qui est très loin de la conception habituelle de facteur de théâtre, offre des analogies avec l’idée qu’on pourrait se faire du modèle d’un sculpteur ou d’un peintre.

J’en viens maintenant à ce que vous disiez, Robert Barrat. Il est vrai en effet qu’il m’arrive la plupart du temps, en travaillant, d’entendre dire, d’entendre parler les machinistes, les électriciens et l’équipe tout entière qui, tout en travaillant, me surveillent du coin de l’œil, leur entendre dire: «ce film est embêtant.» Ou: «Ce film sera embêtant.»

La première explication, c’est que ce film est vraiment embêtant ou qu’il sera embêtant. Une autre explication est que électriciens, machinistes, qui participent toute l’année à un nombre incalculable de films et qui sont comme au spectacle, ont vu tourner des scènes où les gestes, la parole, la mimique étaient portés à un degré d’expression extrême. Il leur semble à présent que tout cela, par mes soins, est pâle, aplati, vidé de toute expression. C’est qu’en effet mes moyens sont tout autres. Ce que je cherche, ce n’est pas tant l’expression par les gestes, la parole, la mimique, mais c’est l’expression par le rythme et la combinaison des images, par la position, la relation et le nombre. La valeur d’une image doit être avant tout une valeur d’échange. Mais pour rendre possible cet échange, il est nécessaire que les images aient ensemble quelque chose de commun, quelles participent ensemble à une sorte d’union. C’est pour cela que je m’efforce de donner à mes personnages une parenté, que je demande à tous mes acteurs de parler d’une certaine manière.

L’image est comparable au mot dans la phrase. Les poètes se forgent un vocabulaire. Leur choix de mots est souvent volontairement peu brillant. Et c’est le mot le plus couramment employé, le plus usé, qui, parce qu’il est en place, prend tout à coup un éclat extraordinaire.

Tiré de: Bresson par Bresson. Entretien, 1943–1983, Paris, Flammarion, 2013, pp. 45–58

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Mario Mancini
Mario Mancini

Written by Mario Mancini

Laureatosi in storia a Firenze nel 1977, è entrato nell’editoria dopo essersi imbattuto in un computer Mac nel 1984. Pensò: Apple cambierà tutto. Così è stato.

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